5 mai 2016 L’informatique est enseignée comme discipline propre dans les classes préparatoires aux grandes écoles depuis 1995 (option en MPSI/MP) et bien plus largement depuis 2013 (toutes les classes scientifiques). L’enseignement de cette discipline repose en grande partie sur des travaux pratiques sur ordinateur. Son développement nécessite donc une réflexion sur la mise en place d’un environnement informatique pertinent dans les lycées, qui abritent les CPGE. Ces réflexions peuvent également être profitables pour les nouveaux enseignements d’informatique créés dans l’enseignement secondaire (ISN, ICN). Quel matériel ? Je ne traiterai pas en détail du matériel nécessaire pour les stations de travail : il faut des ordinateurs convenables, suffisamment puissants pour supporter les utilisations plus ou moins intensives rendues nécessaires par les exemples et les projets traités, et qui ne peuvent être prévues avec autant de précision que pour les autres disciplines en raison de leur caractère ouvert et évolutif : après avoir utilisé un algorithme sur un exemple jouet, on ne peut s’interdire a priori de l’appliquer à un problème en vraie grandeur. Je signale seulement que faire le choix du bon matériel nécessite de connaitre les caractéristiques précises des différentes configurations proposées… Les salles de TP sont souvent peu nombreuses en regard de l’augmentation considérable des besoins. Elles peuvent donc être utilisées en permanence et il faut prévoir un dispositif d’évacuation de l’énergie thermique que dégagent les machines. Quel système d’exploitation ? Situation fréquente Les ordinateurs des lycées sont fréquemment livrés avec une version du système d’exploitation Windows. Problèmes de mise à jour Cela peut poser quelques problèmes de mise à niveau lors de la durée d’utilisation de la machine, qui peut aller jusqu’à 10 ou 15 ans : les versions successives de ce système commercial sont payantes. De plus, les spécifications matérielles de ces versions augmentent nettement d’une version à l’autre, avec pour conséquence qu’il n’est pas toujours techniquement possible de procéder à une mise à niveau. Ainsi, de nombreux ordinateurs dans les lycées exécutent encore le système Windows XP, qui a été déclaré en fin de vie par l’éditeur et ne bénéficie plus d’aucune mise à jour de sécurité. Des problèmes de fond Mais l’utilisation de ce système et de sa couche graphique pose des problèmes véritablement pédagogiques. Je ne parle pas ici de la pédagogie de l’informatique comme science, mais de ce qui permet aux étudiants une compréhension minimale du fonctionnement de l’ordinateur. Ce système commercial est fait pour être vendu et utilisé, mais pas pour être compris. Cela est manifeste au travers de nombreux paramètres par défaut de la couche graphique. Considérez l’explorateur de fichiers. Par défaut, les fichiers de la racine du disque principal sont cachés. C’est très symbolique mais pas véritablement gênant parce que c’est manifeste. En revanche, le masquage des extensions de fichiers est une grave erreur. Les noms de fichier affichés dans l’explorateur sont véritablement mensongers : le fichier apparaissant sous le nom base.sqlite peut être une fichier sqlite portant réellement ce nom ou un fichier nommé base.sqlite.zip dont l’extension .zip, reconnue, est cachée. Expliquer la simple utilisation de l’outil de décompression de fichier du système devient inutilement compliqué, d’autant plus que l’explorateur permet d’inspecter le contenu d’un fichier zip comme s’il s’agissait d’un dossier, engendrant des confusions supplémentaires. Avantages de Linux Je n’insisterai pas sur la gratuité de Linux, même s’il ne faut pas la négliger quand on déploie des milliers d’ordinateurs. Je vais donner quelques exemples des qualités intrinsèques de ce système pour la compréhension du fonctionnement d’un ordinateur. Un système de fichiers clair, des explorateurs fiables Le système de fichiers virtuel mis en œuvre comprend une arborescence unique, ce qui a pour conséquence l’existence d’un chemin relatif de n’importe quel point à n’importe quel autre point. Sous Windows, il n’y a pas de chemin relatif entre des emplacements situés sur des lecteurs différents. L’utilisation de la barre oblique / évite de confronter immédiatement les étudiants au problème d’échappement des caractères posé par la barre oblique inverse de Windows \. Les dossiers dont l’utilisateur est le plus familier, notamment celui contenant les documents personnels, sont de véritables dossiers du système de fichiers et non des pseudo-dossiers comme Mes Documents, que de nombreux utilisateurs sont incapables d’associer à un emplacement dans le système de fichiers (et pour cause : cela leur est caché). Enfin et surtout : si certains fichiers sont cachés par défaut dans les explorateurs de fichiers les plus courants, ceux-ci ne mentent pas à l’utilisateur en travestissant le nom des fichiers affichés ! Un environnement propice à la programmation La console présente par défaut est puissante et conviviale (autocomplétion intelligente, …). De plus, le système de shebang permet facilement l’écriture puis l’exécution de scripts Python autonomes, y compris avec paramètres. Inversement, associer les scripts Python à l’interpréteur sous Windows relève du parcours du combattant, et ne fonctionnera que si ces fichiers ont une extension bien précise. Plus généralement, l’écosystème GNU/Linux est constitué de nombreux petits utilitaires faciles à installer grâce au gestionnaire de paquets et que l’on fait aisément travailler ensemble par des redirections d’entrées et sorties. On peut ainsi facilement proposer un TP consistant en l’implémentation d’un utilitaire réalisant une petite fonctionnalité, qui s’insérera dans une chaine existante pour produire des résultats intéressants. Par exemple, un TP sur les graphes pourra comprendre l’écriture d’une moulinette produisant la description d’un graphe dans le langage DOT, qui sera ensuite traitée par Graphviz pour produire une représentation graphique du graphe. De nombreux outils de développement sont proposés pour les systèmes basés sur Unix mais pas sous Windows, dont opam. Enfin, l’épreuve pratique d’informatique des Écoles normales supérieures requiert cet environnement. Quel réseau ? Réseau pédagogique delenda est Les lycées disposent en général de deux réseaux locaux, logiquement voire physiquement distincts mais tous deux reliés à l’internet : le réseau administratif et le réseau pédagogique. Le réseau administratif est utilisé, évidemment, par l’administration et permet un accès aux applications de gestion (au sens large). Le réseau pédagogique comprend tous les autres ordinateurs du lycée et est prévu pour tous les autres usages. Et c’est un problème : l’intensification de l’utilisation de l’outil informatique s’accompagne d’une diversification des besoins. Je viendrai plus tard aux besoins spécifiques de l’enseignement de l’informatique. Les enseignements de langues vivantes pourraient bénéficier d’un serveur de diffusion pour leurs documents sonores et audiovisuels, et doivent en tout cas disposer d’une connexion permettant un débit adéquat ; ils ont également besoin d’outils adaptés pour remplacer les anciens « laboratoires » à cassettes. Les enseignements de sciences expérimentales nécessitent l’utilisation de capteurs (raison pour laquelle ils risquent de devoir exécuter le système d’exploitation Windows). Les autres disciplines ont probablement surtout besoin d’un accès à internet correct. Le réseau pédagogique a également le défaut de rassembler des machines dont les conditions d’utilisation sont très différentes. Les machines situées dans les espaces en libre service doivent être configurées de façon à préserver les élèves et à limiter les possibilités d’actions néfastes sur le réseau. Les machines utilisées par les élèves dans les salles de classe ou de TP le sont sous la supervision des professeurs : une partie des barrières logicielles peut ainsi être levée. Enfin, les machines situées dans les espaces réservés aux professeurs et autres personnels devraient être configurées pour permettre une utilisation proche de celle au sein d’une entreprise, d’un laboratoire de recherche ou d’une université. Ceci appelle à la destruction du réseau pédagogique unique pour établir un réseau d’utilisation en libre service par les élèves, un ou plusieurs réseaux d’utilisation supervisée, un réseau pour les professeurs. Pour un réseau d’informatique scientifique Parmi les réseaux d’utilisation supervisée, le réseau comprenant les machines utilisées pour l’enseignement de l’informatique doit permettre le plus de fonctionnalités possibles. L’informatique n’est pas l’étude des ordinateurs, mais un étudiant en informatique doit pouvoir devenir, au cours de ses études, un utilisateur averti des systèmes d’information. De plus, la variété des activités de programmation (sans parler d’une éventuelle étude des réseaux informatiques !) nécessite un environnement adapté, moderne et fiable. Comment comprendre que les étudiants de chimie puissent manipuler, sous le contrôle de leurs professeurs, des acides forts ou des substances précurseurs d’explosifs, les étudiants de physique des lasers puissants, les biologistes des scalpels, mais qu’un étudiant d’informatique ne puisse ouvrir une connexion SSH vers un serveur externe ni lire une base de données MySQL ? Également, cet environnement de travail doit pouvoir évoluer rapidement selon les nécessités pédagogiques discernées en cours d’année par le professeur : on doit pouvoir installer plusieurs versions d’un compilateur pour les comparer, mettre à jour les bibliothèques logicielles lorsqu’un problème apparait en préparant un TP, monter un système serveur-clients sur le réseau local, etc. Le réseau d’informatique scientifique et ses machines doivent donc pouvoir être administrés par les professeurs d’informatique de l’établissement et les techniciens qui gèrent le laboratoire. Conclusion L’adaptation des services proposés par les équipements informatiques d’un lycée aux besoins des différentes disciplines et en particulier de l’informatique nécessite un dialogue entre de nombreux acteurs : professeurs, administration des lycées, rectorat, région. La mise en place de CUMI — Comités des utilisateurs des moyens informatiques — au niveau où les décisions peuvent être effectivement prises est probablement une étape pertinente sur ce chemin. Il restera ensuite à le parcourir, c’est-à-dire investir dans des moyens matériels et humains adéquats plutôt que dans des gadgets comme les tablettes. C’est à ce prix qu’on permettra d’une part le développement raisonné et non subi de l’utilisation des moyens informatiques dans l’enseignement et d’autre part le développement d’un enseignement de la science informatique. Lequel a, il est vrai, avant tout besoin de professeurs spécialistes. Mais c’est un autre sujet.